samedi 16 avril 2016

la fontaine Ortmans-Hauzeur


                                          Petite description de la fontaine

 .    Sur le fronton, la ville de Verviers, représentée par une dame, côtoie un lion (symbole de la force). La dame tient dans sa main  droite une pièce de drap (évocation de l’industrie textile de la ville). 
On peut voir deux dalles commémoratives :  

•  à gauche "1878, Ortmans Hauzeur réalise la distribution d’eau de la Gileppe"
à droite "Au Bourgmestre Ortmans Hauzeur  1854-1885, ses  concitoyens reconnaissants "  
Le soubassement en pierre de taille est interrompu par des bandeaux sculptés imitant des rideaux d’eau. Un des bandeaux imite des vagues. On retrouve des éléments  qui rappellent l’eau :  

•  des coquillages sculptés ;  
 un très gros coquillage derrière le buste de Jean-François Ortmans  
•  une amphore de chaque côté.  


.    Le bas du monument évoque la distribution d’eau et le rôle que joua Jean-François Ortmans dans le développement de l’industrie locale. Cinq bassins reçoivent l’eau déversée par une conduite située sous le piédestal. Ce monument a été dressé au pignon d’une maison d’habitation qui compte certains éléments de décoration identiques à la fontaine


Jean-François Ortmans-Hauzeur était le fils de Jean-Joseph Ortmans et de son épouse Hélène Lonhienne ; il naquit le 05 Aout 1806, et s’éteignit dans sa maison de campagne, chaussée de Heusy, le 02 février 1885.


.  Brillant industriel, il était doublé d’un administrateur communal averti: conseiller communal (1848), échevin (1849) il devint bourgmestre (1854) et remplit cette fonction pendant 30 ans, jusqu’à sa mort (1885). Il siégea également à la chambre des Représentants, sur les bancs du parti Libéral.                                                                     Sous son impulsion Verviers se modernisa : quartiers nouveaux, monuments, squares, écoles, etc. Son nom est surtout intimement lié à la construction du barrage de la Gileppe. C’est pourquoi ses citoyens lui élevèrent (1893), un monument grandiose, avec naturellement, une chute d’eau dans des bassins successifs, surmontés de son buste et orné de ces inscriptions : »1878, Ortmans-Hauzeur réalisa la distribution d’eau de la Gileppe » et au bourgmestre Ortmans-Hauzeur 1854-1885, ses concitoyens reconnaissants ».    
 .    Cette fontaine monumentale est l’œuvre du statuaire Clément Vivroux, né à Liège en 1831 et décédé célibataire, à Paris en 1896 ; il est le frère de l’architecte Vivroux (1824-1899) et on lui doit, parmi tant d’autres œuvres, la fontaine David, place verte, le monument funéraire de Vieuxtemps, au cimetière, des sculptures en l’église St Remacle, et plusieurs bustes de personnalités locales 


. Eugene Bidaut

Fils d’un cavalier de l’armée française ayant épousé une Liégeoise en 1804, Eugène Bidaut grandit au sein d’une famille bourgeoise aisée, qui lui permet de faire des études dans la toute nouvelle École des Mines de Liège, ouverte en 1825. À peine diplômé, il entre dans la jeune administration belge où il effectue toute sa carrière.
Entré à l’administration des mines en 1827, nommé ingénieur de première classe en 1842, ce fonctionnaire de l’État est inspecteur général au département de l’Agriculture et des Chemins vicinaux lorsqu’il mène ses premières études, en 1856, en vue de la construction d’un barrage dans la vallée de la Gileppe. De longue date, Eugène Bidaut s’intéresse à de nombreux domaines où son excellence est régulièrement reconnue. Au-delà de ses articles et participations dans des sociétés scientifiques, on retient sa contribution majeure au développement de la Campine : il y a étudié comment mettre en valeur les terres arides de cette contrée.
Mais c’est son rapport final sur La Gileppe qui lui vaut d’accéder au rang de secrétaire général du Ministère des Travaux publics en 1866. Sa mort, deux ans plus tard, l’empêchera d’accompagner la phase décisive des travaux et d’être pleinement célébré au moment de l’inauguration du barrage. Un modeste monument a été élevé au pied de l’édifice en 1869, lors de la pose de la première pierre. Les études initiales de Bidaut dans la vallée de la Vesdre n’avaient d’autre objectif que d’améliorer et de réguler le débit de la Vesdre. Petit à petit, il prend conscience de l’intérêt d’un barrage régulateur et d’une prise d’eau pour la distribution ménagère et industrielle, conclusions qui se retrouvent dans son rapport final de mai 1866.

                          









Indépendamment de ce qui est écrit, il convient de passer à une description plus étoffée de la Gileppe et de la distribution d’eau


 











 .     Le promeneur qui contemple le paisible lac de la Gileppe, l’industriel qui engloutit des centaines de mètres cubes d’eau et l’usager qui ouvre son robinet, se doute bien peu des complications, revendications, controverses, polémiques, etc., auxquelles donna lieu l’implantation du barrage (1878) qui nous est si familier aujourd’hui.

 .    Dès le fin du 18e siècle, un assèchement des Fagnes et de l’Hertogenwald, troublés par des déboisements inconsidérés, rendait capricieux le débit de la Vesdre; les industriels s’en inquiétaient; déjà sous l’Empire, une requête à Napoléon sollicitait l’amélioration du régime de la Vesdre (1813); les fluctuations politiques engendrèrent la stagnation; en 1838, un filateur, Victor Doret, se fit l’apôtre du problème de l’eau et lutta pendant vingt ans, par des démarches successives ; son influence s’étant accrue par son élection comme conseiller provincial (1857), le Conseil demanda au gouvernement d’étudier les moyens d’accroître le volume d’eau de la Vesdre par la construction de réservoirs; le 20 septembre 1857, Bidaut  est chargé de cette étude.




Le premier décembre 1857, une commission siège à l’Hôtel de Ville, animée par le                 bourgmestre Ortmans- Hauzeur et l’un des principaux industriels, Armand Simonis.
En 1858, l’ingénieur Le Hardy de Beaulieu propose de faire une distribution d’eau                ménagère  et industrielle. Bidaut continue ses études ; un de ses confrères, de Jamblinne de        Meux, dépose un projet intéressant simultanément les industriels Verviétois  et prussiens (Eupen).
             
.     Le 13 juillet 1860, la Ville de Verviers demande officiellement qui soit construit un réservoir pour y emmagasiner l’eau due aux crues. Entretemps, Bidaut et Doret avaient de fréquentes entrevues.
Sous des aspects divers, les projets foisonnent : pas moins de seize, entre 1859 et 1862.
En 1863, on discute le projet Le Hardy de Beaulieu (Eupen et Verviers) que la Prusse abandonne en 1864 ; on redoute l’inondation de la vallée en cas d’écroulement du barrage.
Des divergences de vues surgissent : le barrage sera exclusivement destiné à approvisionner l’industrie ; non, répondent d’autres, il doit également servir à une distribution d’eau ménagère (1863) ; et les adversaires de s’affronter. Le conseiller communal Mali interpelle : "si le barrage cédait !".

.    Un stimulant intervint : les jurés d’une exposition internationale, à Londres, en 1862, déploraient que la pureté de nuance d’échantillons textiles de Verviers laissât à désirer à cause de la pollution des eaux de la Vesdre ; aussi, le 31 janvier 1863, des industriels invitent le Conseil communal à améliorer le régime de la Vesdre, sans attarder au projet de la distribution d’eau ; le bourgmestre était hostile à cette exclusion, ce qui en fera le père de cette distribution d’eau. Enfin, le Conseil octroi un subside pour de nouvelles études : cette fois Donckier  en est chargé.

.     Le 20 janvier 1865, la Chambre vote un crédit de 3.250.000 frs, la Ville intervenant pour 2.500.000 frs, afin de construire un réservoir, suivant le projet Bidaut accepté. Un arrêté royal (1er février 1866) autorise la Ville à faire une prise d’eau et à construire un aqueduc, avec l’obligation de réserver trois millions de mètres cubes à l’accroissement du débit de la Vesdre et le restant à la distribution d’eau. Deux ans d’études de Bidaut et Donckier consacrent l’érection du barrage dans le site de la Gileppe.
Enfin, dès 1867, la vallée est envahie par des travailleurs : forges, hangars, bureaux, etc. et un raccordement ferroviaire entre Dolhain et le chantier amène la chaux, le sable, etc.


Croix des fiancés en 1920

Les fagnards, parmi nos lecteurs, se souviendront que François Reiff, originaire de Bastogne, logeant à Béthane, figurait parmi les ouvriers occupés à la construction du barrage ; c’est de là qu’il partit, accompagné de sa fiancée, Marie Solheid, pour se rendre à Xhoffraix, pour y retirer des papiers d’état-civil, en vue de leur prochain mariage ; ils n’y arrivèrent jamais, victimes d’une tempête de neige, l’un aux « Biolettes » (14 mars 1871) et l’autre à Sart-Lerho (22 mars 1871) : c’est ce que commémore la « croix des Fiancés ».



.     Le 9 octobre 1869, une cérémonie présidée par le bourgmestre Ortmans-Hauzeur, a lieu à l’occasion de la pose de la première pierre. Hélas, Bidaut était mort le19 mai 1868. Le petit barrage complémentaire de la Borchêne donna lieu à controverses : construit sans autorisation, épidémie de typhus, etc.
Les travaux continuent : les entrepreneurs Dechamps frères éprouvent des difficultés de trésorerie, quatre cent trente ouvriers se rendent, menaçants, à l’Hôtel de Ville. Les conduites d’eau sont livrées par la fonderie Bède & Houget.
Tout n’est pas fini : le projet accepté prévoit trente-sept mètres de hauteur pour le barrage, donnant une réserve de six millions de mètres cubes ; onze mètres de plus donneraient douze millions, ce que sollicitèrent et obtinrent les Verviétois, grâce à l’influence de Victor Doret, sur un Limbourgeois, le député Charles Delcour, devenu ministre de l’Intérieur (1874) ; un crédit supplémentaire de 1.700.000 frs est voté.

.     Enfin, le 9 mai 1875, les vannes étant fermées, les eaux commencent à monter.  Le lion qui surplombe si majestueusement le barrage, est l’œuvre de Félix-Antoine Bourré.


    




.    Félix Bourré naquit à Bruxelles en 1831, et mourut à Ixelles en 1883 ; on lui doit également les lions des fortifications d’Anvers.
Pour la petite histoire, les autorités omirent de l’inviter au banquet de l’inauguration, et il s’en retourna directement en train à Bruxelles. 








 Vie et carrière

Bouré est né à Bruxelles alors que la guerre de l'indépendance belge a tirait à sa fin. Il a étudié sur place d'abord sous Guillaume Geefs , puis de 1846 à 1852 sous Eugène Simonis à l' Académie Royale des Beaux-arts , aller à l'étranger pour compléter sa formation à l' Académie des Beaux-Arts de Florence . Dans ses études, il a suivi le même parcours que son frère aîné, Paul Bouré . Paul est mort dans la mi-vingtaine quand Antoine-Félix n'avait que 17 ans.

Bouré était parmi les artistes dont le travail a été exposé au Musée Bovie, une grande maison construite par le peintre Virginie Bovie sur la rue de Trône, Bruxelles. En 1868, il était l'un des seize cofondateurs de la Société libre des Beaux-Arts ,  une avant-garde de la société qui a fourni l'espace d'exposition alternatif à celui du Salon officiel en Belgique. Le manifeste de la société a épousé la Réaliste principe de «libre interprétation et individuelle de la nature" et avant-gardiste idéaux de «lutte, le changement, la liberté, le progrès, l'originalité et la tolérance" qui ont été inspirés par Courbet et Baudelaire . «Modernité» et «sincérité» étaient des mots-clés


Puis, vint le grand jour de l’inauguration : le dimanche 28 juillet 1878, le roi Léopold II descend à la gare de Dolhain, et le cortège royal traverse Goé, où un arc de triomphe a été dressé, formé de balles de laine du lavoir Peltzer, et de branches de sapin.
Sous un soleil magnifique, sur l’estrade, le roi ne cache pas son admiration : c’est superbe, dira-t-il.               

Parmi les discours (dont celui du bourgmestre Ortmans-Hauzeur qui retraçait tous les rétroactes), il en est un qui nous touche particulièrement : un jeune élève de l’Athénée avait été choisi pour prononcer une adresse au souverain ; celui-ci l’en remercia chaudement, le félicita et lui en demanda le texte, à la grande fierté de notre jeune orateur : c’était Henri Pirenne, notre futur historien national.

.    Le roi but un verre d’eau du lac, puis ce fut le retour à Verviers : réception, place Sommeleville, chez le vicomte de Biolley ; et à l’Hôtel de Ville ; enfin, un banquet.
On a lu comment une opposition, souvent âpre, mit aux prises, les tenants du réservoir destiné à la seule industrie et les partisans de son double rôle : alimenter les usines et la population.
 L’inauguration du barrage ne mit pas fin à cette controverse : des industriels, parmi lesquels on retrouve Victor Doret, estimaient que la seule fonction du réservoir consistait à régulariser la Vesdre et que la population ne manquait pas d’eau potable (Mangombroux, etc.) ;  ils intentèrent un procès à l’État belge et à la Ville de Verviers, pour obtenir la suppression de la prise d’eau ; le 15 février 1882, le Tribunal civil de Verviers débouta les demandeurs.

.    Le cinquantième anniversaire de l’inauguration du barrage donna lieu à une cérémonie commémorative, le 5 août 1928: exposition de l’Art et de l’Industrie, présence du futur roi Léopold III, le duc de Brabant (la princesse Astrid étant excusée) et d’autorités ministérielles, provinciales et communales ; retour en ville, hommage au monument de la Victoire, thé à l’Harmonie, et enfin, le clou de la cérémonie : l’exécution, devant le monument Ortmans-Hauzeur, par une chorale de trois cents voix, d’une cantate due au Maître Albert Dupuis, qui la dirigea personnellement.
Auparavant, le prince avait salué, en son hôtel proche, le vicomte Alfred Simonis, ancien président du Sénat.   La vie continue avec ses tribulations: de grandes sécheresses en 1921, 1929, 1934 et 1947.

.     Afin d’empêcher tout retour de cette calamité, le barrage (qui avait déjà été adapté pour contenir treize millions de mètres cubes) fut l’objet d’une complète modification : assèchement avec utilisation temporaire de l’eau d’Eupen, démolition, reconstruction par une technique moderne, le tout donnant une réserve de vingt-cinq millions de mètres cubes ; pendant ces longs travaux (1967-1971), le lion fut démonté, pièce par pièce et entreposé dans une prairie à Jalhay, avant d’être réédifié au sommet du barrage. Le 10 octobre 1971, le roi Baudouin procéda à l’inauguration solennelle du nouveau barrage.


 .    1978 marquera le centième anniversaire de l’inauguration du premier barrage ; il est prématuré de savoir ce que nous réservent les autorités pour cette commémoration que l’on verrait volontiers célébrée avec faste, tant cette réalisation fait honneur à Verviers.

  Pour voir le récit fagnard: ici  


                                                         









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