Petite description de la fontaine
. Sur le fronton, la ville de Verviers, représentée par une
dame, côtoie un lion (symbole de la force). La dame tient dans sa main droite une pièce de drap (évocation de
l’industrie textile de la ville).
On peut voir deux dalles commémoratives :
• à gauche "1878,
Ortmans Hauzeur réalise la distribution d’eau de la Gileppe"
à droite "Au Bourgmestre Ortmans Hauzeur 1854-1885, ses
concitoyens reconnaissants "
Le soubassement en pierre de taille est interrompu par des
bandeaux sculptés imitant des rideaux d’eau. Un des bandeaux imite des vagues. On retrouve des
éléments qui rappellent l’eau :
• des coquillages
sculptés ;
un très gros coquillage derrière le buste de Jean-François
Ortmans
• une amphore de
chaque côté.
. Le bas du monument évoque la distribution d’eau et le rôle
que joua Jean-François Ortmans dans le développement de l’industrie locale.
Cinq bassins reçoivent l’eau déversée par une conduite située sous le
piédestal. Ce monument a été dressé au pignon d’une maison d’habitation qui
compte certains éléments de décoration identiques à la fontaine
Jean-François Ortmans-Hauzeur était le fils
de Jean-Joseph Ortmans et de son épouse Hélène Lonhienne ; il naquit le 05 Aout
1806, et s’éteignit dans sa maison de campagne, chaussée de Heusy, le 02
février 1885.
. Brillant industriel, il était doublé d’un administrateur
communal averti: conseiller communal (1848), échevin (1849) il devint
bourgmestre (1854) et remplit cette fonction pendant 30 ans, jusqu’à sa mort
(1885). Il siégea également à la chambre des Représentants, sur les bancs du
parti Libéral. Sous son
impulsion Verviers se modernisa : quartiers nouveaux, monuments, squares,
écoles, etc. Son nom
est surtout intimement lié à la construction du barrage de la Gileppe. C’est
pourquoi ses citoyens lui élevèrent (1893), un monument grandiose, avec
naturellement, une chute d’eau dans des bassins successifs, surmontés de son
buste et orné de ces inscriptions : »1878, Ortmans-Hauzeur réalisa la
distribution d’eau de la Gileppe » et au bourgmestre Ortmans-Hauzeur 1854-1885,
ses concitoyens reconnaissants ».
. Cette fontaine monumentale est
l’œuvre du statuaire Clément Vivroux, né à Liège en 1831 et décédé célibataire,
à Paris en 1896 ; il est le frère de l’architecte Vivroux (1824-1899) et on lui
doit, parmi tant d’autres œuvres, la fontaine David, place verte, le monument
funéraire de Vieuxtemps, au cimetière, des sculptures en l’église St Remacle,
et plusieurs bustes de personnalités locales
. Eugene Bidaut
Fils d’un cavalier de l’armée française ayant épousé une
Liégeoise en 1804, Eugène Bidaut grandit au sein d’une famille bourgeoise
aisée, qui lui permet de faire des études dans la toute nouvelle École des
Mines de Liège, ouverte en 1825. À peine diplômé, il entre dans la jeune
administration belge où il effectue toute sa carrière.
Entré à l’administration des mines en 1827, nommé ingénieur
de première classe en 1842, ce fonctionnaire de l’État est inspecteur général
au département de l’Agriculture et des Chemins vicinaux lorsqu’il mène ses
premières études, en 1856, en vue de la construction d’un barrage dans la
vallée de la Gileppe. De longue date, Eugène Bidaut s’intéresse à de nombreux
domaines où son excellence est régulièrement reconnue. Au-delà de ses articles
et participations dans des sociétés scientifiques, on retient sa contribution
majeure au développement de la Campine : il y a étudié comment mettre en valeur
les terres arides de cette contrée.
Mais c’est son rapport final sur La Gileppe qui lui vaut
d’accéder au rang de secrétaire général du Ministère des Travaux publics en
1866. Sa mort, deux ans plus tard, l’empêchera d’accompagner la phase décisive
des travaux et d’être pleinement célébré au moment de l’inauguration du
barrage. Un modeste monument a été élevé au pied de l’édifice en 1869, lors de
la pose de la première pierre. Les études initiales de Bidaut dans la vallée de
la Vesdre n’avaient d’autre objectif que d’améliorer et de réguler le débit de
la Vesdre. Petit à petit, il prend conscience de l’intérêt d’un barrage
régulateur et d’une prise d’eau pour la distribution ménagère et industrielle,
conclusions qui se retrouvent dans son rapport final de mai 1866.
Indépendamment de ce qui est écrit, il convient de passer à une description plus étoffée de la Gileppe et de la distribution d’eau
. Le promeneur qui contemple le paisible lac de la Gileppe,
l’industriel qui engloutit des centaines de mètres cubes d’eau et l’usager qui
ouvre son robinet, se doute bien peu des complications, revendications,
controverses, polémiques, etc., auxquelles donna lieu l’implantation du barrage
(1878) qui nous est si familier aujourd’hui.
. Dès le fin
du 18e siècle, un assèchement des Fagnes et de l’Hertogenwald, troublés par des
déboisements inconsidérés, rendait capricieux le débit de la Vesdre; les industriels
s’en inquiétaient; déjà sous l’Empire, une requête à Napoléon sollicitait
l’amélioration du régime de la Vesdre (1813); les fluctuations politiques
engendrèrent la stagnation; en 1838, un filateur, Victor Doret, se fit
l’apôtre du problème de l’eau et lutta pendant vingt ans, par des démarches
successives ; son influence s’étant accrue par son élection comme conseiller
provincial (1857), le Conseil demanda au gouvernement d’étudier les moyens
d’accroître le volume d’eau de la Vesdre par la construction de réservoirs; le
20 septembre 1857, Bidaut est chargé de
cette étude.
Le premier décembre 1857, une commission siège à l’Hôtel de Ville, animée par le bourgmestre Ortmans- Hauzeur et l’un des principaux industriels, Armand Simonis.
En 1858, l’ingénieur Le Hardy de Beaulieu propose de faire une distribution d’eau ménagère et industrielle. Bidaut continue ses études ; un de ses confrères, de Jamblinne de Meux, dépose un projet intéressant simultanément les industriels Verviétois et prussiens (Eupen).
. Le 13 juillet 1860, la Ville de Verviers demande officiellement qui soit construit un réservoir pour y emmagasiner l’eau due aux crues. Entretemps, Bidaut et Doret avaient de fréquentes entrevues.
Sous des aspects divers, les projets foisonnent : pas moins de seize, entre 1859 et 1862.
En 1863, on discute le projet Le Hardy de Beaulieu (Eupen et Verviers) que la Prusse abandonne en 1864 ; on redoute l’inondation de la vallée en cas d’écroulement du barrage.
Des divergences de vues surgissent : le barrage sera
exclusivement destiné à approvisionner l’industrie ; non, répondent d’autres,
il doit également servir à une distribution d’eau ménagère (1863) ; et les
adversaires de s’affronter. Le conseiller communal Mali interpelle : "si le
barrage cédait !".
. Un
stimulant intervint : les jurés d’une exposition internationale, à Londres, en
1862, déploraient que la pureté de nuance d’échantillons textiles de Verviers
laissât à désirer à cause de la pollution des eaux de la Vesdre ; aussi, le 31
janvier 1863, des industriels invitent le Conseil communal à améliorer le
régime de la Vesdre, sans attarder au projet de la distribution d’eau ; le
bourgmestre était hostile à cette exclusion, ce qui en fera le père de cette
distribution d’eau. Enfin, le Conseil octroi un subside pour de nouvelles
études : cette fois Donckier en est
chargé.
. Le 20
janvier 1865, la Chambre vote un crédit de 3.250.000 frs, la Ville intervenant
pour 2.500.000 frs, afin de construire un réservoir, suivant le projet Bidaut
accepté. Un arrêté royal (1er février 1866) autorise la Ville à faire une prise
d’eau et à construire un aqueduc, avec l’obligation de réserver trois millions
de mètres cubes à l’accroissement du débit de la Vesdre et le restant à la
distribution d’eau. Deux ans
d’études de Bidaut et Donckier consacrent l’érection du barrage dans le site de
la Gileppe.
Enfin, dès
1867, la vallée est envahie par des travailleurs : forges, hangars, bureaux,
etc. et un raccordement ferroviaire entre Dolhain et le chantier amène la
chaux, le sable, etc.
Croix des fiancés en 1920
Les fagnards, parmi nos lecteurs, se souviendront que
François Reiff, originaire de Bastogne, logeant à Béthane, figurait parmi les
ouvriers occupés à la construction du barrage ; c’est de là qu’il partit,
accompagné de sa fiancée, Marie Solheid, pour se rendre à Xhoffraix, pour y
retirer des papiers d’état-civil, en vue de leur prochain mariage ; ils n’y
arrivèrent jamais, victimes d’une tempête de neige, l’un aux « Biolettes » (14
mars 1871) et l’autre à Sart-Lerho (22 mars 1871) : c’est ce que commémore la «
croix des Fiancés ».
. Le 9 octobre 1869, une cérémonie présidée par le bourgmestre
Ortmans-Hauzeur, a lieu à l’occasion de la pose de la première pierre. Hélas,
Bidaut était mort le19 mai 1868. Le petit barrage complémentaire de la Borchêne
donna lieu à controverses : construit sans autorisation, épidémie de typhus,
etc.
Les
travaux continuent : les entrepreneurs Dechamps frères éprouvent des
difficultés de trésorerie, quatre cent trente ouvriers se rendent, menaçants, à
l’Hôtel de Ville. Les conduites d’eau sont livrées par la fonderie Bède &
Houget.
Tout
n’est pas fini : le projet accepté prévoit trente-sept mètres de hauteur pour
le barrage, donnant une réserve de six millions de mètres cubes ; onze mètres
de plus donneraient douze millions, ce que sollicitèrent et obtinrent les
Verviétois, grâce à l’influence de Victor Doret, sur un Limbourgeois, le député
Charles Delcour, devenu ministre de l’Intérieur (1874) ; un crédit supplémentaire
de 1.700.000 frs est voté.
. Enfin,
le 9 mai 1875, les vannes étant fermées, les eaux commencent à monter. Le lion qui surplombe si majestueusement le
barrage, est l’œuvre de Félix-Antoine Bourré.
. Félix Bourré naquit à Bruxelles en 1831, et mourut à Ixelles
en 1883 ; on lui doit également les lions des fortifications d’Anvers.
Pour
la petite histoire, les autorités omirent de l’inviter au banquet de
l’inauguration, et il s’en retourna directement en train à Bruxelles.
Vie et carrière
Bouré est né à Bruxelles alors que la guerre de l'indépendance
belge a tirait à sa fin. Il a étudié sur place d'abord sous Guillaume Geefs ,
puis de 1846 à 1852 sous Eugène Simonis à l' Académie Royale des Beaux-arts ,
aller à l'étranger pour compléter sa formation à l' Académie des Beaux-Arts de
Florence . Dans ses études, il a suivi le même parcours que son frère aîné,
Paul Bouré . Paul est mort dans la mi-vingtaine quand Antoine-Félix n'avait que
17 ans.
Bouré était parmi les artistes dont le travail a été exposé
au Musée Bovie, une grande maison construite par le peintre Virginie Bovie sur
la rue de Trône, Bruxelles. En 1868, il était l'un des seize cofondateurs de
la Société libre des Beaux-Arts , une
avant-garde de la société qui a fourni l'espace d'exposition alternatif à celui
du Salon officiel en Belgique. Le manifeste de la société a épousé la Réaliste
principe de «libre interprétation et individuelle de la nature" et
avant-gardiste idéaux de «lutte, le changement, la liberté, le progrès, l'originalité
et la tolérance" qui ont été inspirés par Courbet et Baudelaire .
«Modernité» et «sincérité» étaient des mots-clés
Puis, vint le grand
jour de l’inauguration : le dimanche 28 juillet 1878, le roi Léopold II descend
à la gare de Dolhain, et le cortège royal traverse Goé, où un arc de triomphe a
été dressé, formé de balles de laine du lavoir Peltzer, et de branches de
sapin.
Sous un
soleil magnifique, sur l’estrade, le roi ne cache pas son admiration : c’est
superbe, dira-t-il.
Parmi
les discours (dont celui du bourgmestre Ortmans-Hauzeur qui retraçait tous les
rétroactes), il en est un qui nous touche particulièrement : un jeune élève de
l’Athénée avait été choisi pour prononcer une adresse au souverain ; celui-ci
l’en remercia chaudement, le félicita et lui en demanda le texte, à la grande
fierté de notre jeune orateur : c’était Henri Pirenne, notre futur historien
national.
. Le roi but un verre d’eau du lac, puis ce fut
le retour à Verviers : réception, place Sommeleville, chez le vicomte de
Biolley ; et à l’Hôtel de Ville ; enfin, un banquet.
On a
lu comment une opposition, souvent âpre, mit aux prises, les tenants du
réservoir destiné à la seule industrie et les partisans de son double rôle :
alimenter les usines et la population.
L’inauguration du barrage ne mit pas fin à cette controverse : des
industriels, parmi lesquels on retrouve Victor Doret, estimaient que la seule
fonction du réservoir consistait à régulariser la Vesdre et que la population
ne manquait pas d’eau potable (Mangombroux, etc.) ; ils intentèrent un procès à l’État belge et à
la Ville de Verviers, pour obtenir la suppression de la prise d’eau ; le 15
février 1882, le Tribunal civil de Verviers débouta les demandeurs.
. Le
cinquantième anniversaire de l’inauguration du barrage donna lieu à une
cérémonie commémorative, le 5 août 1928: exposition de l’Art et de
l’Industrie, présence du futur roi Léopold III, le duc de Brabant (la princesse
Astrid étant excusée) et d’autorités ministérielles, provinciales et communales
; retour en ville, hommage au monument de la Victoire, thé à l’Harmonie, et
enfin, le clou de la cérémonie : l’exécution, devant le monument
Ortmans-Hauzeur, par une chorale de trois cents voix, d’une cantate due au
Maître Albert Dupuis, qui la dirigea personnellement.
Auparavant, le prince avait salué, en son hôtel proche, le vicomte
Alfred Simonis, ancien président du Sénat.
La vie continue avec ses tribulations: de grandes sécheresses en 1921,
1929, 1934 et 1947.
. Afin
d’empêcher tout retour de cette calamité, le barrage (qui avait déjà été adapté
pour contenir treize millions de mètres cubes) fut l’objet d’une complète
modification : assèchement avec utilisation temporaire de l’eau d’Eupen,
démolition, reconstruction par une technique moderne, le tout donnant une
réserve de vingt-cinq millions de mètres cubes ; pendant ces longs travaux
(1967-1971), le lion fut démonté, pièce par pièce et entreposé dans une prairie
à Jalhay, avant d’être réédifié au sommet du barrage. Le 10 octobre 1971, le
roi Baudouin procéda à l’inauguration solennelle du nouveau barrage.
. 1978
marquera le centième anniversaire de l’inauguration du premier barrage ; il est
prématuré de savoir ce que nous réservent les autorités pour cette
commémoration que l’on verrait volontiers célébrée avec faste, tant cette réalisation fait honneur à Verviers.
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