1. Les débuts de Verviers "ville lainière"
. Au
début du XIXème siècle, Verviers est une des plus petites communes du jeune
État belge.
Avant
cette date, elle était un quartier de la Seigneurie de Petit-Rechain dépendant
des Pays-Bas espagnols puis Autrichiens, accolé à une des "bonnes
villes" de la principauté de Liège. Avant la révolution liégeoise de 1789
et l'invasion française, les fabricants de draps ont su tirer parti de la
frontière et des différences de taxation pour faire de l'industrie textile,
créée autour de la Vesdre, une industrie florissante.
A partir de 1799, c'est la révolution industrielle qui a fait sentir ses effets,
puis la mise en œuvre de grandes innovations techniques chez les industriels et
enfin la multiplication d'usines et leur mécanisation croissante.Ces avancées
techniques ont fait que le nombre d'ouvriers s'est lui aussi multiplié mais
que, malheureusement, les infrastructures de logement n'ont pas suivi.
2.
l’expansion
. A partir de 1810, les familles ouvrières vont s'entasser dans
des logis exigus. A cette époque, on comptait 12 personnes par maison en
moyenne. C'était souvent 2 familles qui cohabitaient tant bien que mal et qui
se partageaient les pièces par un simple trait de craie !
Ce taux d'occupation est le plus élevé de la province de Liège et il est dû au
rapide essor de l'industrie lainière qui fournissait du travail mais peu de
logement. On imagine sans peine la promiscuité et l'hygiène déplorable
résultant de cet entassement. En 1843, les conditions d'insalubrité étaient
catastrophiques. Les égouts inexistants, seul "le canal des usines",
sorte d'égout à ciel ouvert, passait par la ville. Celui-ci conduisait les eaux
usées, les immondices et les déjections naturelles mais aussi, par conséquent,
les maladies et la pollution.
. Dans les années 1840, Verviers comptait 25.000 habitants et possédait 10 pompes
publiques, souvent polluées par les eaux du canal.
Les
ouvriers des usines textiles travaillaient 12h/jour, 6 jours sur 7 et les
enfants étaient les premières victimes des maladies (le travail de la laine est
rude et malsain) mais aussi, victimes d'abus sexuels. L'illettrisme régnait en
maître, l'alcoolisme était un fléau (1 café pour 7 maisons) et les ouvriers
n'avaient aucun droit syndical.
3. L'évolution de la condition ouvrière grâce aux syndicats
. En
1844 c'est, étrangement, l'arrivée des Jésuites à Verviers qui va donner
l'impulsion à la création d'un mouvement radical ouvrier, principalement dirigé
contre deux grands patrons textiles : Biolley et Simonis. Ce mouvement est mené
par un ouvrier : Pierre Fluche. C'est donc le point de départ du syndicalisme
verviétois qui verra sa création en 1869. Il faudra attendre 1871 pour voir la
première victoire (pacifique) des syndicats qui obtiennent la journée de
travail de 10 heures.
. En 1902,
le nombre d'ouvriers syndiqués est de 2.000 sur 20.000 et en 1906, il est de
16.275, c'est-à-dire 82%. A ce moment, les grèves se multiplient et le conflit
de 1906, qui va durer 6 semaines, très dures pour les ouvriers et leur famille
(pas de travail donc pas de salaire), va aboutir, grâce au soutien
extraordinaire de la population (partage et entraide), à la signature d'une
convention collective entre patrons et ouvriers. Les premiers obtiendront le
respect de l'autorité dans les ateliers et la promesse d'être consultés avant
le déclenchement d'une grève. Quant aux seconds, les ouvriers, ils obtiendront
la reconnaissance officielle des syndicats, la fin des répressions, la
conciliation générale "patron/ouvrier" et l'unité salariale dans les
industries d'un même secteur.
4. Comparaisons entre le
UA-59839671-1
niveau salarial en 1850 et celui de 1910
. Le
salaire moyen d'un ouvrier non qualifié est de 1,20 franc par jour. En
supposant qu'il travaille toute l'année sans un seul jour de repos (6 jours sur
7 - il n'est pas question de vacances , ni de longs week-ends) sans absence
pour maladie, sans chômage, il ne gagne péniblement quelque 430 francs l'an. Il
est indispensable que son épouse fournisse un revenu de complément (le salaire
quotidien moyen d'une ouvrière est de 75 centimes) pour arriver aux quelque
700 francs de rentrées annuelles que l'on considère à l'époque, comme le
minimal indispensable pour équilibrer un budget ouvrier (nourriture, loyer et
habits exclusivement) sans le mettre à l'abri de la maladie, de l'accident de
travail ou du chômage.
. Payés 50
centimes par jour et sont soumis aux mêmes conditions effarantes que leurs parents,
les enfants de moins de 12 ans gagnent par leurs 12 heures de travail, de quoi
acheter deux gros pains ou une dizaine de pommes de terre.
Si on
travaille toujours 6 jours par semaine, les horaires journaliers sont passés à
10 ou à 9 heures, avec une pause de 30 minutes à midi.
. Les
patrons cotisent à une caisse médicale d'urgence pour 3 % du salaire de
l'ouvrier. Les grands patrons textiles ont fait construire des cités qui logent
60 % des ouvriers de la ville. Ces logements, parfois équipés d'eau courante,
ne sont pas riches mais décents. Les machines modernes pour le lavage et le tissage de la laine rendent le
travail moins éprouvant.
. Le
salaire moyen d'un ouvrier n'est toujours pas énorme mais il permet à une
famille de 5 personnes de vivre correctement. Le travail de la femme procure un
surplus salarial qui permet même d'afficher des rideaux aux fenêtres !
. Le
travail des enfants est toléré à partir de 12 ans mais, souvent, un
apprentissage jusqu'à 14 ans ou 16 ans leur offre un bagage intellectuel et
manuel qui leur permettra de devenir un ouvrier qualifié.
Quand Mr
Appert visitait Verviers, le 30 mai 1848
"La famille Bioley, qui inventerait le bien
si l’Évangile ne l'enseignait aux riches, a voulu mettre le comble à sa
prévoyante sollicitude, en construisant deux vastes rangées de bâtiments
divisés, et formant un grand nombre de petites maisons ayant chacune une
chambre, une cuisine, un petit corridor au rez-de-chaussée, une chambre et un
grenier au grenier et un joli jardin derrière la maison. J'ai visité un de
ces logements où se trouve un ouvrier avec sa femme, ses enfants et sa mère,
parfaitement à l'aise, et comme le loyer est de 100 francs par an et que
trois personnes et l'aîné des enfants travaillent, on le retient facilement
par petites parties sur le gain des journées"
Un texte intéressant, qui attire notre attention
sur l'absolue nécessité de replacer nos analyses et nos jugements dans le
contexte de l'époque. Aujourd'hui on soulignera le paternalisme, les moyens
de pression toujours plus forts qui pesaient sur le travailleur puisque s'il
perdait sa place, il perdait son logement. Et enfin, l'astuce qui consistait
à donner un salaire dont on récupérait une partie sous forme de loyers,
procédé qui existait également dans le truck-system ou dans les magasins
d'usine. Pourtant, pour Appert et bien d'autres alors, l'initiative de
Biolley apparaissait comme une avancée sociale, un généreux bienfait
librement accordé aux ouvriers, par un patron qui appliquait la charité
évangélique. (T.J.)
|
5.
Regards sur l'ouvrier et ses conditions de travail au milieu du XIXème siècle
. Le
conseil central de salubrité publique considère que "les fabriques dans
lesquelles on a donné quelque attention aux conditions de salubrité, sont
extrêmement rares : presque toutes sont établies dans d'anciens bâtiments qu'on
a arrangés tant bien que mal et accommodés comme on a pu à leur nouvelle
destination, en tenant compte seulement des besoins de l'industrie et en
oubliant complètement qu'il y avait aussi quelque chose à faire dans l'intérêt
de la santé des "ouvriers".
L'ouvrier est un véritable outil qui s'use ou se rompt, et qu'on remplace
par un autre dès qu'il est usé ou rompu. Son sort est subordonné à la
prospérité du maître. Qu'importe au maître que l'ouvrier soit propre ou non,
qu'il se nourrisse mal ou bien, que son habitation soit saine soit insalubre,
qu'il meure un peu plus vite ou un peu plus tard ? Que lui importe tout cela ?
Pourvu que l'ouvrier ait les bras forts, les mains agiles, qu'il travaille et
qu'il produise beaucoup, y a-t-il d'autres choses qui puisse l'intéresser
?".
6.
Évolution des conditions de travail au XXe siècle
. Le
début du XXème siècle a vu la naissance du syndicalisme et un début de
"mieux vivre" sinon d'aisance pour la classe ouvrière. Si la Première Guerre mondiale a été un facteur de prospérité pour l'industrie lainière, la
seconde a entraîné le déclin de celle-ci. L'ouverture des frontières sur le
monde, la rapide évolution des techniques et matières, surtout venant des
États-Unis, ont contribué à la lente agonie des usines lainières à Verviers.
La
mécanisation des diverses étapes du lavage de la laine brute a certes,
simplifié et rendu moins âpre le travail des ouvriers, mais elle a aussi
fortement diminué le nombre de ceux-ci. Les nouvelles matières synthétiques ont
fait régresser terriblement la demande de laine et de ses dérivés.
. Aujourd'hui, à
l'aube du XXIème siècle, ne subsiste à Verviers que l'ombre de l'industrie
lainière du siècle passé. Bien sûr, les tapis de billard verviétois de
réputation mondiale restent le fleuron des manufactures textiles encore en
place et le lavage de la laine est encore présent mais, Verviers n'est plus la
ville prospère qu'elle était grâce à son industrie lainière.
Cependant, la
question ouvrière est toujours d'actualité et de nouvelles formes de domination
sont aujourd'hui à l'oeuvre dans les entreprises. Il persiste l'omniprésence du
sentiment de peur chez les ouvriers : peur du chômage, de la précarité, et
surtout peur pour l'avenir de leurs enfants. Peu à peu la solidarité qui
régnait entre les ouvriers s'est "brisée". La fierté et la dignité de
la condition ouvrière qui s'étaient forgées dans les luttes sociales tendent ainsi
à disparaître.
3 entreprises
persistent aujourd'hui mais n'occupent plus qu'une poignée d'ouvriers. On
retiendra cependant que, dès la fin du XIXème siècle, les grands patrons
lainiers ont collaboré à la création d'une école textile dans laquelle ils
envoyaient certains ouvriers se faire instruire.
A l'heure actuelle,
cette école forme des ingénieurs textiles qui portent le savoir lainier aux 4
coins de la planète.
7.
Les ouvriers lainiers verviétois aujourd'hui
. Les
quelque 500 personnes occupées dans les usines (alors qu'il y en avait 20.000
en 1900) sont pour 5% des ingénieurs, pour 25% des ouvriers qualifiés et le
70% restant sont des ouvriers non qualifiés au départ mais qui acquièrent une
spécificité en se spécialisant dans certains postes de travail propres à
l'industrie lainière. Cette dernière catégorie est surtout représentée par des
femmes (plus de 2 femmes pour 1 homme) qui travaillent en 2 poses (6 heures-14
heures et 14 heures-20 heures) et qui occupent souvent des emplois à temps
partiels. Les
salaires respectent les barèmes établis pour le secteur ouvrier et les
conditions de travail n'ont plus rien à voir avec les conditions de leurs
ancêtres.
Le travail des enfants dans l'industrie textile
Préambule:
. En
Belgique, le travail des enfants aux XIX ème et XX ème siècles va de pair avec
l'industrialisation et la pauvreté. Une première enquête fut réalisée par une
commission spéciale en 1843, mettant en évidence les très mauvaises conditions
de travail, de salaire, d'alimentation, des ouvriers de l'époque . Elle élabore
un projet de loi interdisant d'employer dans l'industrie des enfants de moins
de 10 ans, limitant à six heures et demie par jour le travail des enfants de 10
à 14 ans et à dix heures et demie celui des adolescents entre 14 et 18 ans. Ce
projet rencontre de vives oppositions. Il faudra attendre 1914, la venue de
nouvelles mentalités, de nouvelles cultures et surtout l'application de la
scolarité obligatoire et sévèrement contrôlée pour résoudre le problème du
travail des enfants dans notre pays.
Qu'en est-il à Verviers ?
. L'industrie lainière verviétoise bénéficie d'une mécanisation précoce; les
premières machines à vapeur sont installées entre 1816 et 1823 par John
Cokerill. Dans ce début de 19e siècle, Verviers participe pleinement à la
révolution industrielle et sa population double sous le régime hollandais.
L'industrie et le pouvoir politique sont essentiellement aux mains de deux
familles, celles des Bioley et Simonis. Dans la seconde moitié du siècle, le
mouvement ouvrier prend de plus en plus d'ampleur, étant donné que les classes
ouvrières vivent, à Verviers, dans des conditions extrêmement lamentables.
L'augmentation du nombre de logements n'ayant pas suivi celle de la population,
les ouvriers vivent dans la promiscuité et dans l'insalubrité. Le travail des enfants dans les industries
lainières:
- L'âge d'admission au travail:
. Les enfants sont employés en général dès qu'ils ont atteint l'âge de faire leur
communion solennelle, c'est à dire dès l'âge de 12 ans pour les garçons et 11,5
pour les filles. Cependant, on constate tout de même des enfants de 7-8 ans
travaillant déjà avec leurs parents ou leur contremaître.
- Les conditions de travail:
. Dans
les filatures, l'agilité, la souplesse, la petite taille des enfants sont
utilisées par exemple pour attacher les fils brisés sous les métiers à tisser
en marche, nettoyer les bobines encrassées, ramasser les fils de coton. Les
enfants sont aussi chargés de surveiller les machines (ils doivent alors rester
jusqu'à 16 heures debout).
. L'opération du regrattage : " Des enfants ramassent les rouleaux de ruban,
les déposent sur la planche inclinée et en joignent les bouts en les roulant
ensemble dans la paume de la main. Chaque apiéceur, ayant quinze bouts à
appiécer, ramasse plusieurs rubans à la fois et, les plaçant sur son bras
gauche, il avance le long du métier en joignant les bouts successivement avec
la main droite " Cette opération
oblige l'enfant à garder toujours la même position, appuyant toujours sur la
même jambe. La taille de l'enfant se courbe et la jambe se déforme.
De plus,
les ateliers ne disposent pas de systèmes d'aération. A Verviers, seule une
manufacture possède un ventilateur. Dans les autres ateliers, on se contente
d'ouvrir les fenêtres. D'autre part, les accidents de travail et les
amputations sont fréquents. Certains industriels font même signer aux parents
une décharge leur interdisant tout recourt s'il arrivait un accident à leurs
enfants. Outres les accidents, les enfants et autres ouvriers doivent faire
face aux diverses maladies ( maladies respiratoires, inflammations oculaires,
la phtisie cotonneuse,...)
- La durée du temps de travail
. La durée du temps de
travail est la même que celle des adultes.
C'est à 5
heure du matin qu'ouvrent les ateliers, quels que soient le temps et la saison
Les travaux commencent directement pour être interrompus de 8 h30 à 9 heures pour
le déjeuner des ouvriers. De 9 heures à midi, le travail continue : c'est alors
le temps du dîner. La reprise a lieu à 1 heure et ils travaillent ensuite sans
interruption, sauf quelques minutes dérobées pour le goûter, jusqu'au moment de
la sortie définitive qui varient selon les établissements et la nature des
travaux. Règle générale pourtant : il est fixé à 7 heures de relevée. De 5
heures du matin à 7 heures du soir , déduction faite des repas, il y a bien
12 h30 d'emploi, tant pour l'enfant que les autres ouvriers. Dans certaines
manufactures où l'on fait moins pour assurer le sort de l'ouvrier, la durée de
travail des enfants se prolonge quelques fois jusqu'à des 9 ou 10 heures du soir
"
La loi
de 1889 fixa la durée de travail des enfants dans les industries lainières à
11 h15 par jour.
- Le salaire:
. Les
salaires des enfants sont ridicules.
En
1844, les hommes gagnaient entre 1,5 et 2,5 fr, les femmes 0,75 fr, les
adolescents 0,8 fr et les enfants 0,50 fr de l'heure. Les salaires de misère que
les ouvriers touchaient expliquent en grande partie le travail "
nécessaire " de leurs enfants. (op.cit)
b. Un moyen pour éradiquer le travail des enfants :
l'obligation scolaire
La première loi organique de l'enseignement
primaire fut votée en 1842. Elle oblige les communes à entretenir une école.
Cependant, les enfants fréquentent très peu l'école
pour diverses raisons :
- la pauvreté ambiante obligeant les parents à
envoyer leurs enfants au travail
- le grand nombre de main d’œuvre demandé par les
industries
- le manque d'intérêt des parents pour
l'enseignement, la formation professionnelle étant considérée plus importante
que la formation intellectuelle.
- la non-gratuité de l'école et ce jusqu'en 1914.
Plusieurs solutions sont proposées ;
- l'embauche d'enfants sachant lire et écrire (il
faut remarquer qu'un enfant sans instruction est moins rémunéré, donc plus vite
employé)
- les écoles du soir
- le contrôle des inspecteurs du travail
En conclusion:
. Le
travail des enfants était en quelque sorte nécessaire pour répondre à l'immense
besoin de main d’œuvre crée par la révolution industrielle. Il compensait
également les salaires de misère des adultes de l'époque qui ne suffisaient pas
à la survie des familles.
Les enfants étaient considérés en quelque sorte comme des "
enfants-machines "
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