samedi 16 avril 2016

Le palais de justice









Jusqu’à la fin du 19ème siècle, une statue de Thémis, surmontant la façade, trônait sur le toit de notre palais de Justice. Qui était Thémis ? Dans l’Antiquité grecque, une déesse redoutable, poursuivant le crime et la démesure et présidant à l’ordre de l’Univers. Avec ses attributs, le glaive et la balance, elle était et est restée le symbole de la Justice.








Le premier Palais de Justice surmonté
      de la statue de Thémis (1853)

Les débuts de notre palais de justice.

Après un chassé-croisé entre armées française et autrichienne, les Français sont le 26 juin 1794 victorieux à Fleurus. Ils reviennent à Verviers. Et le 27 septembre 1794 (6 vendémiaire an 3), l’administration municipale de Verviers, installée lors de la première invasion française (1792-1793), est réintégrée dans ses fonctions. La municipalité est alors invitée à mettre un local à la disposition de la Justice : elle désigne d’abord à la Maison Commune –notre Hôtel de Ville actuel- la salle des échevins, déjà ancienne Cour de Justice.

.    Dès le 21 février 1796, elle demande à l’administration départementale de ratifier le choix qu’elle a fait du couvent des Carmes, pour le convertir en tribunal de police correctionnelle, jury d’accueil, tribunal de la justice de paix et aussi cellules de prisonniers. 

.    Il est cependant prévu que les moines conserveront quelques chambres. En effet, le couvent des Carmes avait subi le sort de toutes les maisons religieuses ; les autorités, s’en étant emparées, y installaient divers services et y toléraient parfois la présence de quelques religieux qui n’avaient pas fui devant l’invasion.

  .   Le 28 février de la même année, deux officiers municipaux sont députés au couvent des Carmes, pour décider et dresser procès-verbal des places qui seront laissées à l’usage des religieux et celles qui serviront aux tribunaux. Mais le 1er juin 1797, les deux seuls ex-carmes qui continuaient à loger et à se tenir au couvent sont déjà priés de trouver ailleurs un autre logement et ce, sous le plus bref délai. En 1809, le tribunal de commerce est créé en l’Hôtel de Ville ; il s’installera plus tard dans l’ex-couvent des Carmes.

.    Apparemment, le système judiciaire se maintient tel quel dans notre région, sous l’occupation française et pendant la réunion dès 1814 de la Belgique à la Hollande. Pendant les vingt années qui suivirent la proclamation en 1830 de notre indépendance, le tribunal de première instance de Verviers siège dans les salles de l’ancien couvent des Récollectines (construit de 1686 à 1689) située rue de Hodimont, actuellement au numéro 48, dans une cour, entièrement défiguré.

.    Vers 1848, la ville de Verviers souhaita avoir un Palais de Justice plus en rapport avec l’importance qu’elle prenait de jour en jour.
                                                       Feuille d'annonces 23/06/1850





                                                                       Plan Popp de 1858

.     Entre 1850 et 1853, le premier Palais de Justice fut édifié suivant les plans de l’architecte Jos. Dumont (1811-1859) sur l’emplacement du couvent et des jardins des ci-devant Carmes au lieu-dit : Les Prayes, proche de la porte de Heusy.  

.     Quelques mois plus tard, on terminait la prison, accolée au palais (voir Temps Jadis n° 10, page 23). Mais devant le futur Palais de Justice, il fallut d’abord couvrir la tranchée où passait depuis le 15 octobre 1843 le train allant vers l’Allemagne. Un tunnel fut construit, dont la voûte devint la Place du Palais (ce tunnel fut surélevé en 1964 pour permettre l’électrification de la ligne de Chemin de fer). 

.     La façade de ce nouveau bâtiment, toute en pierres calcaires, n’a pas de style bien précis ; elle porte au niveau du premier étage quatre niches qui contiennent des grandes statues en pierre de sable, représentant quatre jurisconsultes liégeois : en justaucorps et coiffés de la perruque, le très érudit Charles de Méant (1604-1674) qui fut bourgmestre de Liège entre 1641 et 1646 et Mathias de Louvrex (1665-1734) conseiller du prince-évêque ; figurés en robe, le Theutois Toussaint Dandrimont (1757-1822) président de la Cour d’appel de Liège et le Hervien Olivier Leclercq (1760-1842) docteur en droit civil et en droit canon de l’Université de Louvain.

.     Ces sculptures, de même que celle de leur compagne Thémis qui surplombait la façade et qui disparut fin du 19ème siècle, sont l’œuvre de l’anversois Guillaume Greefs. 

 TRENTE ANS PLUS TARD Le Palais de Justice était déjà trop étroit. La prison, empêchant son agrandissement, fut démolie en 1894 et transférée à son emplacement actuel, chaussée de Heusy.






















                                               Démolition de la prison (1894)





                                     A droite, le premier bâtiment construit en 1850-1853.
                            A gauche, l'aile construite en 1896, une grosse tour carrée les relie.



.    En 1886, on commença à construire la nouvelle aile, dans un style plus imposant, perpendiculairement au bâtiment initial, contre le pignon gauche et donc à la place de la prison démolie.                                                                                                                                                                                   .    La façade de ce nouveau bâtiment –dont les plans furent tracés par l’architecte liégeois Remouchamps- est cependant harmonisé avec l’ancienne et une grosse tour les relie. Cette construction tournée vers la propriété Kaison entraîna une dépense de 824.650 francs, soit plus du double de l’adjudication de 1850, laquelle s’élevait à 307.900 francs.                                                                                                                                                                         .    Lors de ces travaux, les cinq statues furent enlevées pour faire leur toilette ; les quatre jurisconsultes réintégrèrent leurs niches, mais Thémis fit un caprice et ne réapparut pas. De nos jours, on la recherche encore. 

.    Si la chronique ne mentionne pas d’inauguration officielle pour le premier bâtiment, on se rattrapa en 1898 pour inaugurer avec solennité le Palais de Justice agrandi. La cérémonie se fit en grande pompe. 

.   Sur une estrade élevée dans la salle des pas perdus, le Président du Tribunal et le Gouverneur de la Province de Liège prononcèrent des discours, devant un parterre de sénateurs, députés, édilités verviétoises, représentants du clergé et des puissances étrangères, sans oublier le Ministre de la Justice.

.   Un banquet fut offert à la Société d’Harmonie à cent dix-sept convives, qui après avoir écouté avec patience huit autres discours, firent honneur au menu gastronomique que nous vous présentons ici.




 .     Pendant la guerre de 40-45, le drapeau à la croix gammée flotta sur notre Palais de Justice : en effet, les Allemands l’avaient réquisitionné pour servir de Kommandantur. Quelques mois avant la fin de la guerre, il fut flanqué de deux fortins, l’un rue Deru, l’autre au pied de la tour.






Au fil du temps, la Justice vit ses tâches s’accroître et se diversifier ; plusieurs services durent essaimer en divers endroits de la ville. Aussi,une seconde extension prit forme afin de les regrouper,  L’église St Joseph, inaugurée en 1939 et voisine du Palais de Justice, montrait quarante ans plus tard des signes de grande dégradation. Elle fut démolie et c’est sur son emplacement que fut construite la troisième aile, au nord du bâtiment existant. Les travaux débutèrent en avril 1991. Afin de donner à l’ensemble un même caractère architectural, les nouvelles façades furent traitées sobrement. La réalisation fut basée sur l’efficacité de fonctionnement entre l’ancien bâtiment et la nouvelle aile. Elle est le fruit d’une œuvre collective, partant du bureau d’architecture liégeoise Natowitz, Jadot, du Préwerson et Alexandre jusqu’à l’entreprise S.A. Galère pour le gros œuvre, et passant par de nombreux autres intervenants. Le coût s’éleva à 227 millions.


.     Tous les services judiciaires qui étaient éparpillés ont donc pu être regroupés : au rez-de-chaussée, le registre du commerce ; aux trois étages, on trouve le tribunal du commerce, deux justices de paix, le tribunal de la jeunesse, la section jeunesse du parquet et le tribunal du travail. Les combles abritent les machineries et les archives ; le sous-sol, d’autres archives, et aussi 35 places de parking.                                                                                                   

.     Les différents niveaux sont desservis par deux ascenseurs, placés près de l’entrée principale ainsi que par un ascenseur situé près de l’aile ouest de l’ancien immeuble qui permet de communiquer avec elle. Le mardi 4 avril 1995, après midi, ce fut Monsieur Jean Serpe, Président du Tribunal de 1ère instance, qui accueillit les personnalités pour l’inauguration de cette nouvelle aile, inauguration jumelée avec celle du nouveau bâtiment du Centre des Finances, rue de Dison.  

.     La justice est donc actuellement sous un seul toit. Mais on peut déjà deviner que d’autres métamorphoses suivies d’autres inaugurations se profilent dans un avenir peut-être pas bien lointain !



LA GUERRE DES STATUES ou CLOCHERMERLE à VERVIERS.

 En 1978, les quatre statues des jurisconsultes avaient été enlevées en raison de leur vétusté et mis au vert dans le parc de Séroule où elles se dégradèrent davantage. Que faire ? les réparer, prévoir des copies ou de nouvelles créations ? Cette dernière solution fut choisie et le sculpteur Serge Gangolf créa quatre œuvres d’esprit et de ligne résolument contemporains. Une première statue, celle de Charles de Mean, fut placée dans sa niche en juillet 1982. Une grande partie de l’opinion publique estima qu’elle dénotait fort sur un tel édifice. En juillet 1982, pose de la première statue de Serge Gangolf, statue qui fut l'objet de bien des polémiques



.     En 1985, elle quitta la façade du Palais de Justice. Que placer dans les niches vides ? On revint aux statues originales, mais elles étaient trop abîmées. 

Des copies furent alors commandées et réalisées dans un mélange de pierre et de résine par le couple de sculpteurs Jacqueline Hanauer et André Bernard. 
En janvier 1986, les quatre jurisconsultes réapparurent dans leurs niches. Et heureuse conclusion, les sculptures en aluminium de l’artiste Serge Gangolf finirent par s’intégrer dans la façade de la nouvelle aile, où elles ont trouvé en septembre 1994, après des années du purgatoire, un cadre plus approprié à leur style.





C'est l'hiver, les matins sont froids, les jurisconsultes ont mis leur petite laine pour revenir au Palais en janvier 1986.





Mathias-Guillaume de Louvrex,

né à Liège en 1665 et mort en 15 septembre 1734, écuyer, seigneur de Ramelot, est un jurisconsulte, magistrat, diplomate et historien liégeois. En 1702, il fut bourgmestre de Liège avec Jean-Arnould de Cartier. Cette année fut particulièrement agitée : Joseph-Clément de Bavière, prince-évêque francophile, avait laissé pénétrer les troupes de Louis XIV de France dans la ville. Elles en furent chassées par Marlborough2, à la tête d'une coalition alliée. Louvrex négocia avec l'envoyé plénipotentiaire de l'empereur, le comte de Sinzendorf, et obtint la restauration de la neutralité liégeoise. En 1713, il fut délégué au Congrès d'Utrecht avec le chanoine baron de Wanserelle pour y défendre les intérêts de la Principauté. Il est surtout célèbre pour son recueil des édits, règlements, privilèges, concordats et traitez du païs de Liége et comté de Looz,... en quatre volumes (1714-1735). Ré-édité, avec corrections et ajouts, après sa mort, en 1750-1752. Ces quatre volumes représentent une source d'informations inestimable pour les historiens de la Principauté. Il possédait une magnifique bibliothèque qui fut acquise en 1792 par François-Antoine-Marie de Méan, dernier prince-évêque et futur archevêque de Malines



 Olivier Leclercq Naquit à Herve en 1761 ; et mourut en 1842, qualifié du titre de Procureur Général de la cour de supérieure de justice de Liège. Il fut aussi conseiller d'Etat; en 1808-1810, il publia 8 volumes de jurisprudence et de droit romain. 

Toussaint d' Andrimont Naquit dans les environs de Liège et mourut âgé de soixante-cinq ans. le 28 juin 1822; magistrat éclairé et équitable, il siégeait encore deux jours avant sa mort, en tant que premier président de la Cour supérieure de Justice de Liège

Charles de Méan Le plus ancien des quatre juristes né en 1604 et décédé en 1674, est un célèbre jurisconsulte de la principauté de Liège et un bourgmestre de Liège. Il est surnommé le « Papinien liégeois ». En 1641, il devient bourgmestre de Liège avec François de Liverlo suite aux élections favorables aux Chiroux. Cinq ans plus tard, le 24 juillet 1646, de Liverlo et lui sont réélus après des élections contestées mais le 25 des affrontements Chiroux-Grignoux aboutissent à sa démission au profit de l’ex-colonel Renard Jaymaert (Grignoux). Il est anobli par l’empereur Ferdinand III pour service rendu au pays.. 
Durant les 30 dernières années de sa vie, il a étudié le droit romain ainsi que le droit liégeois. Il écrit un code, publié à titre posthume, nommé Definitiones ad ius civile qui contient l’ensemble du droit liégeois. Son livre sera distribué pendant un siècle à chaque nouveau magistrat liégeois. 


.      En 1978, les quatre statues des jurisconsultes avaient été enlevées en raison de leur vétusté et mis au vert dans le parc de Séroule où elles se dégradèrent davantage. Dans un premier temps, on décida de les remplacer par de nouvelles statues de style résolument contemporain, mais l’opinion publique estima que ces statues dénotaient fort sur l’édifice. On mit alors en place des copies des anciennes statues, celles-ci étant trop abîmées, et les nouvelles statues de style contemporain ont trouvé leur place dans le cadre plus approprié de la façade de la nouvelle aile du Palais de Justice inaugurée en 1995.



Anecdotes 

.     La joyeuse prison des Carmes. Une partie de l’ancien couvent avait été converti en prison. Une prison fort débonnaire ! Le régime était peu sévère et il n’y avait souvent qu’un seul geôlier.   

.     C’était une prison « sympathique » où les détenus menaient une vie presque familiale, peu souvent dans leurs cellules, car réunis dans la salle commune. On bavardait, on fumait, on jouait aux cartes, aux dominos et aussi on interpellait les passants qui leur offraient tabac, friandises et monnaies ! 

  .    Un beau jour, les aumônes ayant été très généreuses, le geôlier put acheter plusieurs bouteilles de pékèt. Tous burent tant et plus que, même le geôlier se retrouva ivre mort. 

.     Quelques détenus moins ivres que les autres couchèrent le geôlier sur la table, lui joignirent les mains sur la poitrine, allumèrent quelques cierges et… prirent la poudre d’escampette ! L’affaire fit grand bruit… et le régime pénitentiaire devint beaucoup plus sévère.










Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire